essais,  Lecture,  récit de vie,  réflexion

Trouver son ‘tempo giusto’

« Il est plus de merveilles en ce monde que n’en peuvent contenir tous nos rêves »

attribué à W. Shakespeare

En cette semaine de rentrée, j’ai envie de partager avec vous mes réflexions et offrir mon témoignage sur le ‘Tempo Giusto’, tel que développé dans l’inspirant livre de Pascale d’Erm : Vivre plus lentement, un nouvel art de vivre, lu il y a 4 ans tout pile, septembre 2015. Je vous offre donc ce long article en cadeau du jour. Je vous invite à respirer et prendre un petit temps pour vous et humer ce tempo là avec moi.

rêver sous l’ombre du platane et des effluves enveloppantes du figuier

Le tempo giusto est le rythme musical propre à chaque concertiste. C’est aussi notre tempo interne, accordé à notre « battement de cœur », inspiré par la cadence de notre enfance, le rythme de notre environnement quotidien ou l’habitude. Me voilà donc en terrasse de café, au soleil, avec le vent de septembre qui balaie mes cheveux et qui œuvre à ôter des arbres les premières feuilles d’un été qui s’achève. Le clavier à disposition pour cette « bulle de lenteur » propice à l’exercice d’écriture, je perçois derrière moi les voix des écoliers qui s’élèvent de la cour de récré. Nous sommes le 2 septembre 2019, les cloches de la rentrée ont sonné et écrire cet article est pour moi l’occasion d’un petit bilan quant à ce tempo! En ce qui me concerne, c’est une véritable quête, une interrogation récurrente, suis-je dans mon ‘tempo giusto’ ? est-ce que je le respecte profondément ? est-ce possible dans ce monde ? comment cela se manifeste-t-il dans le courant de ma vie ? ce sentiment récurrent d’être à contre courant du tempo des autres est-il justifié?

C’est mon licenciement économique en 2015 qui m’a plongée un peu plus profondément dans cette expérience et qui m’a permis de vivre un « ralentissement professionnel imposé »… que j’ai choisi de faire durer le plus longtemps possible. Jusqu’alors je peux dire que je vivais à un rythme plutôt cadencé, parfois au-delà de mes propres battements cardiaques à vrai dire, puisque je fis les frais d’un bon « burn out ». Tu sais, ce truc où tu te lèves un matin le cerveau tellement en bouilli que tu ne te souviens plus de tes codes d’ordi, de tes mots de passes, à peine de ton code de carte bleu, ni-même de l’endroit où tu as pu mettre tes anti-sèches au cas où ! Bref, les neurones en mode fraise Tagada fondue de trop de chaleur interne, n’aspirant qu’à une chose pour se refaire : l’arrêt, le ralentissement. T’es dans un tel état que de toute façon tu ne peux pas faire autrement, c’est l’un des précieux cadeaux du burn out ! mais vous n’êtes pas obligé d’aller jusque là pour savourer l’existence, et d’ailleurs certains n’ont absolument pas ce problème, connaissent très bien leur limite et savent les faire respecter et mener les choix qui s’imposent. Je les respecte infiniment, ce sont mes modèles !

J’ai attendu mon licenciement comme une libération, et ce fut l’opportunité d’éprouver cette recherche plus à fond. Sans emploi du temps, ni horaires imposés (ce que je vivais déjà en fait puisque j’étais cadre, mais en contexte salarié) j’allais pouvoir explorer le ‘travailler moins vivre plus’ et voir ce que cela pouvait donner pour une très active comme moi.
Nous avons profité de l’occasion pour quitter les « néo-agités urbains » d’île de France, les univers frénétiques pleuplés de désirs artificiels jamais assouvis, les « qui-s’entre-tuent » pour rejoindre les « qui-s’entre-vivent » chers à Prévert*, à En région rhônes alpes, côté dromois. L’idée étant de se laisser la latitude et le temps suffisants pour redéfinir un projet professionnel en cohérence avec nos aspirations à une vie plus sereine, c’est ce que la plupart d’entre nous recherche, non ? A lors avant de partir je me suis amusée, en compagnie d’une collègue, un de nos derniers après-midi avant licenciement, au printemps 2015, à réaliser un collage Mandala projectif pour me donner une vision, hors les mots, de mes aspirations profondes en termes de projet de vie et peut-être d’activités professionnelles.

* » Je sais, un peu partout, tout le monde s’entretue, c’est pas gai, mais d’autres s’entrevivent, j’irai les retrouver »

Jacques Prévert
Technique du Mandala-collage projectif, Ralentir, vision de ma chouette intérieure

Mon œuvre s’est titrée d’elle-même Ralentir, et je n’avais même pas encore déniché le livre de Pascale d’Erm, trouvé quelques mois plus tard en médiathèque, sur mon nouveau lieu de vie, comme un encouragement à poursuivre dans cette voie.

Miam, cette lecture fut le ‘perfect’ programme pour faire mes premiers pas à mon arrivée dans la Drôme. J’y ai puisé la confirmation de mes instincts premiers et les quelques ingrédients suivants qu’il m’est plaisant de partager. Voici donc quelques clés nec plus ultra à cultiver, façon théorie des petits pas (on est pas obligé de faire un 360°d’un coup, même s’il y a grosse urgence terrienne à ralentir pour agir différemment) :

  • Sortir des trafics routiers (cet été des gens venus nous voir nous on parlé du trafic saturé…je ne savais même plus que oui, bien sûr, ça existe encore. Mais plus dans ma vie actuelle.)
  • Faire ses courses localement, à pieds / vélo (fait pendant 4 ans, c’est si bon…là on doit à nouveau reprendre un peu la voiture, mais pas loin, moins de 5km)
  • Travailler de façon indépendante en espace de co-working (lire plus tard mes expériences Usine Vivante et 8Fabalab)
  • Raccourcir les distances domicile/travail (cf co-working, militer pour le télétravail à domicile, et aussi…travailler moins !)
  • Opter pour des activités de loisirs de proximité (à domicile ou quasi au bout de ma rue)
  • S’offrir des moments de contemplation : beautés intemporelles, œuvres d’art, nature plongent l’esprit dans une bulle de concentration. (là où je vis, j’ai le choix du roi).
  • Tiens, petite recommandation lecture en passant :
  • Régénérer son esprit en douceur en développant le domaine du calme intérieur (c’est mon work in progress aux vues de mes capacités-incommensurables-à-m’agiter-mentalement-mais-je-me-soigne).

Petite pause. STOP. Façon MBSR, méditation de pleine conscience.

STopper / s’arrêter dans ce que vous êtes en train de faire. Présentement lire. Observer. Poursuivre ou pas.

Il s’agit vraiment lors de l’observation de sentir sa respiration se poser, s’assoir ou s’allonger au besoin, même qu’une minute ou deux. Ou simplement fermer les yeux et respirer pour évaluer votre état de fatigue, d’agacement, niveau d’énergie, puis prendre la décision de poursuivre ou non l’action entreprise avec les ajustements nécessaires au besoin. Très efficace. D’ailleurs, je viens de prendre une meilleure position afin de poursuivre cet article. On continue?

En bonne exploratrice, j’ai bien sûre goûté à plusieurs pratiques : Qi Gong et Taï chi pendant 3 ans comme première progression vers la lenteur. Puis un appel à me rapprocher davantage du sol m’a conduit à la méditation pleine conscience et au yoga. Depuis trois-quatre ans je pratique de façon régulière, pas forcément tous les jours, mais cela fait parti de ma vie à présent. Et dès que ça s’embrouille dans mon esprit, le tapis de yoga et/ou mon zafu sont à présent mes alliés.

Yoga-thérapie avec Mimi

Quoiqu’il en soit l’auteure du livre invite à changer de vitesse sans s’isoler, à privilégier la qualité à la quantité (des moments, des relations, des produits), également à ne pas hésiter à oser rallonger les délais (je le fais régulièrement dans ma pratique actuelle de formatrice freelance), supprimer les échéances, savourer pleinement les moments de vie affective, artistique ou émotionnelle que nous avons la chance de partager avec ceux que nous aimons. (alors là, j’ai l’impression d’avoir dédié ma vie à ça ces dernières années!). C’est un peu saut dans le vide de faire sauter les échéances, mais pour que le tempo reste juste, c’est parfois nécessaire, sinon l’orchestre entier s’emballe, et c’est plus vraiment la mélodie du bonheur.

En pôle position nous avons également le fameux « savoir dire non », au règne absolu de la voiture dans les villes par exemple, non à la mal-bouffe, à l’homogénéisation des modes de vie, à l’excès des grandes surfaces, à la destruction d’espaces naturels ou des habitats anciens. Non à certains postes, dire non, c’est le grand luxe. Mais attention, pas de non sans de grands OUI, à la défense des transports collectifs et alternatifs, aux produits locaux et de saison (la période des courgettes, choux et autres courges rend particulièrement créatif …) oui à la restauration de qualité, oui à la qualité de vie et la tranquillité des habitants, à la préservation de l’eau, de la faune et de la flore, etc… c’est pas la planète que nous devons sauver, elle s’en fout la planète, c’est notre humanité qui est en jeu et notre rapport à notre biotope. Un grand oui également à la marche et au voyage à pieds comme acte de résistance et exercice de simplicité. « La marche est un aller simple vers l’essentiel » nous dit l’auteure, comme d’autres avant elle (je pense à S.Tesson, à H.D Thoreau, à Théodor Monod…). Marcher pour mesurer l’immensité du monde. je marche encore trop peu à mon goût, enfin, je veux dire que je marche local et sur un périmètre réduit. et c’est déjà immense pour moi. J’ai le voyage modeste.

C’est dans ce livre que j’ai aussi découvert le concept des villes lentes. J’adoooore! ça m’a presque donner un regain d’intérêt pour ce qui touche à la politique locale. Ce sont des villes administrées selon cette volonté du mieux vivre. La carotte : une qualité de vie améliorée par le calme des artères piétonnes, une moindre pollution visuelle, olfactive et sonore. Le bâton : une politique « drastiquement hostile aux bagnoles », avec interdits dans tous les sens et contraventions. L’objectif est d’effacer la voiture de l’espace urbain. Dans les villes lentes on remplace les parkings par des terrasses de café et les places de stationnement par des bancs publics. Le tout prévoit un cadrage par « un plan de transport alternatif » où des parkings extérieurs « captent les voitures aux deux extrémités de la ville. L’idée est également de recentraliser les commerces et de travailler beaucoup, mais lentement, donc BIEN. Je connais tellement d’amis et de collègues usés, au-delà de la malbouffe, par le travailler-mal. Dans ce monde sur-speedé d’interconnexion et d’obsession gestionnaire, la question du sens de ce qu’on fait n’a même plus le temps d’être pris en compte. Résultat des tâches pour rien, du faux travail, du gâchis de temps, d’énergie et de beauté ! pour une société qui se fonde sur la rentabilité, c’est moyen, non? Du beau, du bien du bon, que diable!!!

S’opposer au gigantisme urbain est une nécessité. Repenser la ville en îlots et en quartiers d’oasis autosuffisants seraient un sacré plus. Petite déjà, je me sentais mal quand la voiture des parents entrait dans Paris ou lorsque nous rejoignions une gare centrale ; l’excitation de départ se transformait peu à peu en oppression, anxiété voir angoisse face à l’aspect tentaculaire de l’espace urbain, aux sur-stimulations qu’il me procurait. Bref du mal être ! Ma nature d’enfant non soumis quotidiennement à ce rythme fou de la ville (je remercie ici le choix parental) m’indiquait et imprimait déjà en moi durablement ce qui me semblait plus juste et tenable à mon échelle humaine d’ultra-sensible. C’est ce tempo giusto qui a influencé mes choix et avec lequel j’ai désiré pleinement renouer, que je me sens respecter et honorer autant que je le peux aujourd’hui. Je continue mes gammes et œuvre à mon propre concerto personnel, tantôt allégro, tantôt pianissimo, tantôt symphonique, tantôt musique de chambre ou intime et acoustique. Et, bien sûr, quelques fausses notes…

L’escargot, symbole des villes lenteshttps://cittaslow.fr/

Alors en guise de conclusion, un bon STOP, pour le pas de côté. On arrête et on commence autre chose ? Trions, refusons, choisissons. Transformons nos espaces en lieux propices à notre humanitude. Se désencombrer de l’inutile et demeurer léger est peut-être l’affaire de toute une vie, l’important est de s’y atteler. La lenteur impose, non pas de subir un ordre extérieur mais de faire entrer de l’ordre en soi. Ce processus de transformation est créatif et ressemble au chaos se transformant en étoile qui danse nietzschéen. Gardons la marche comme rempart à la course des heures, l’écriture pour figer le temps et le plaisir de toutes ces activités créatives « au double pouvoir de densifier le temps et de le piéger ».

La phrase de Shakespeare « nous appelle à féconder le monde de notre regard poétique ». J’en fais ma ligne d’horizon, comme l’éternelle hémorragie de présent à laquelle invite C. Bobin, où même le Yoga pour lequel passé futur n’existe pas, seul le présent du souffle de la respiration compte. Pour le marcheur vagabond Sylvain Tesson chaque journée « est une petite existence » et « la poésie entretient l’esprit et gonfle l’âme ». Je me sens amie de cet état d’esprit là.

une petite lecture-sieste pour aller plus loin?

Petite biblio-sito-graphie liée à cet article : https://www.editions-ulmer.fr/editions-ulmer/vivre-plus-lentement-un-nouvel-art-de-vivre-199-cl.htm ; Les villes lentes : visitez cittaslow.fr

Les nourritures terrestres d’André Gide, « saisis l’instant Nathanaël… » Eloge de la lenteur de Carl Honoré; Du bon usage de la lenteur de Pierre Sansot; La folle allure de Christian Bobin; Et mes voyageurs à pieds préférés de Nus et culottés (encore un drômois dans l’affaire…) https://www.france.tv/france-5/nus-et-culottes/

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.