Le nid vide
On m’a ôté l’appendice. A l’âge adulte. Semi-adulte, j’avais à peine 20 ans. Je me souviens de cette opération par coelioscopie, technique qui nécessite une insufflation de gaz dans le ventre. Elle m’a laissée le ventre gonflé comme une baudruche pendant deux trois jours, le ventre aussi tendu qu’une femme enceinte de 6 mois avais-je présumé à l’époque. Le miroir de la chambre d’hôpital me renvoyait cette étrangeté comme un apprivoisement de mes possibles corporels… le ventre peut donc se tendre tant et plus (… « Qu’à la fin il creva! », vieux relent de fable d’enfant) tant et plus encore ? qu’elle fabuloserie que le corps d’une femme !
Un ventre capable de porter un autre monde qu’elle, de l’intérieur, un petit monde qu’il faudra bien sortir par ces hanches-là, son propre squelette, prompt à devoir s’ouvrir…
Je suis là, j’observe le miroir que je présume divinatoire de ma destinée.
J’apprivoise cette étrangeté, ce possible, dans un mélange de joie mêlée d’inquiétude d’être ainsi née femme. Et quelle fierté soudain de l’être! Les douleurs qui suivirent la résorption des gaz opératoires, me laissèrent perplexe. Corps dilaté. Temps de reprendre forme. Forme mouvante des corps…en particulier du mystérieux corps des femmes.
Cette traversée corporelle fût une étape notoire : l’adolescente en moi accouchait d’une jeune femme ce jour-là.
Bien des années plus tard (une vingtaine) la prémonition de ce corps de femme enceinte se révéla anesthésiée. Ou bien terriblement, tragiquement annonciatrice: il n’y aurait que de l’air dans ce ventre. Il n’y aurait que nid vide. Cela, je ne l’avais pas imaginé.